Jérusalem[*]...

Ville de paix ou de guerre, d'intégrisme ou d'harmonie…

Extrait de la conférence publique du mercredi 13 décembre 1995 à Marseille de Rav Yitshak Jessurun sur les événements actuels.

Jérusalem est une ville de paix. Dans la tradition juive elle est la ville de paix; celle d'où doivent émaner quiétude et entente dans tout l'univers. La deuxième partie de son nom, chalem, contient ce constat: ce terme chalem, qui veut dire entier, est parenté à chalom, la paix! Ce n'est qu'à travers Jérusalem que le monde peut être entier, ce n'est qu'à travers elle que le monde peut connaître union et harmonie.
 
 

Toutefois, le paradoxe frappant est immédiat : aucune ville dans l'histoire de l'humanité n'a inspiré autant de guerres et autant de batailles justement au nom de D. Aucune ville n'a fait verser autant de sang et autant de larmes au nom de la religion et au nom de la paix. Les croisades des Chrétiens tout comme les yihad des Musulmans ont laissé leur marque indélébile sur la ville de D.

Récemment c'est un Juif qui a tué un autre Juif dans l'état hébreu. Un Juif qui, à son tour au nom de la religion, a mis fin, d'une façon dramatique, aux jours d'un chef d'état. Les médias étaient rapides à faire le diagnostic : le coupable était le fanatisme de l'ensemble des religieux. Israël est atteint d'intégrisme, et bien entendu, d'un intégrisme juif.
 
 

D'autres questions sont formulées à propos de cette ville : les laïques peuvent-ils espérer qu'elle évoluera un jour vers une ville “moderne”, comme Paris, New York et Londres ou est on condamné à la voir rester “prisonnière des religieux”, éternellement figée dans un passé biblique, poussiéreux et dépassé? Peut-elle devenir une ville du présent, du monde contemporain d'aujourd'hui ou restera-t-elle une ville antique des rêves du passé?

 Qu'est-ce que Jérusalem a à proposer au monde? Quelle est la fonction spirituelle de la capitale du pays des Juifs?


D'abord une précision : l'intégrisme - tant craint à juste titre - n'est point un phénomène juif. Il convient sûrement d'abord de définir ce qu'est l'intégrisme d'une façon générale. Ce serait une grave erreur de le comprendre simplement comme un dérapage ou un “excès de la pratique religieuse” de “certains”. L'intégrisme est bien plus que ça. Il est un véritable phénomène de culture et de ce fait il appartient intégralement à certaines religions et à certaines cultures. Par exemple, le yihad, la guerre sainte est enseignée - voire dictée… - par le Coran. A plusieurs reprises les textes coraniques incitent à la propagation de sa foi et ceci sans aucune restriction, par tous les moyens, y compris celuide l'épée. L'intégrisme musulman n'est en fait rien d'autre que l'application fidèle et “intégrale” de ses textes. L'épée, le forcing et la terreur au nom de D. font tout simplement parti de l'enseignement du Coran. Le prophète a bien fait savoir que dans ce monde il n'y a pas de place pour les” autres”. Un Islam modéré n'existe point. C'est une contradiction de termes puisque sa doctrine approuve la violence.

 Et que l'Europe occidentale, enfant de l'église chrétienne qui se dit indignée et abhorrée de ce fanatisme aveugle et destructif, ne s'y trompe pas: sa propre culture appartient autant à la culture de répression de l'autre! L'église aussi, et autant, enseigne qu'il faut entreprendre la guerre sainte contre les impies. Tous ses guerriers, ayant commis ce qui serait aujourd'hui qualifié de “crime contre l'humanité”, tombés en combat pendant des croisades sont proclamés des “saints”, et ceci pour les nobles atrocités pour la cause de D. … Egalement le phénomène de l'inquisition et ses méthodes, approuvées par le Sainte Siège, témoignent que l'intégrisme chrétien ne relève pas d'une erreur et d'un simple zèle excessif de quelques fidèles. Et quoi penser du Vatican actuel qui souhaite encore de nos jours béatifier l'infâme Isabelle comme “sainte”? La violence est solidement ancrée dans la doctrine même de cette religion.
 
 

Rappelons-le donc, le Judaïsme ne connaît pas de prosélytisme. Il ne cherche pas à s'imposer à quiconque, ni de force ni autrement. En effet, toute conversion imposée est d'amblé nulle et non avenue! Seul celui qui est venu par sa propre volonté et conviction peut se joindre au Peuple Juif. Ce fait parle pour lui même: c'est par notre exemple seul que nous pouvons amener les nations à reconnaître le seul D. unique de l'univers. Le service divin ne connaît pas de violence. Il ne peut pas connaître la violence. On montre qu'on est juif de par son comportement! (Si on considère ce fait, alors le peuple juif avec tous ses défauts a été extrêmement “exemplaire”, puisque la moitié du monde l'a déjà suivi - du moins dans le principe théorique du monothéisme - sans le moindre contraint!)
 
 

Si un Juif tue au nom de D. cela prouve jusqu'où il est assimilé, jusqu'où il a intégré des valeurs musulmanes ou chrétiennes au détriment de sa propre Torah. C'est que, sans s'en rendre compte, il a assimilé la violence non juive. Le seule remède pour lui est d'aller s'installer dans une des grandes yechivoth où se trouvent les véritables grands maîtres de la tradition authentique de la Torah!


Certes, Jérusalem est une ville intrigante. Toute la vie juive est centrée autour de Jérusalem. Pas seulement la soirée de Pessah, de Pâques, mais dans toutes les 3 prières quotidiennes nous répétons notre attachement inconditonnel à cette ville. Egalement dans les grâces après le repas nous prieons l'Eternel de bien vouloir reconstruire rapidement la cité du Temple… Jérusalem et le Temple sont le thème central de toutes nos demandes.

 Il est d'autant plus étonnant de constater que l'appellation de cette ville ne figure nulle part dans la Torah. Ce n'est que du temps du roi David que le prophète Nathan lui parle de Jérusalem…

 Dans les textes de la Torah nous ne trouvons ce lieu que par la description de “l'endroit où D. choisira d'instaurer Son Sanctuaire…”. Ainsi nous lisons régulièrement dans la Torah cette appellation de hamakom, “l'endroit” choisi par D. Toutefois, aucune autre précision de la nature de cet endroit ou encore de la location de cet endroit ne se lit dans les textes.

 Na'hmanide commente le silence de la Torah en ce qui concerne un lieu précis: si la Torah avait précisé l'endroit de Jérusalem et du Temple les nations auraient empêché le Peuple Juif par tous les moyens de s'y installer. L'actualité de ce commentaire du Na'hmanide est fort percutante: les nations s'efforcent de retirer Jérusalem comme capital du Peuple Juif. Jérusalem nous est refusée, elle doit appartenir aux Musulmans ou aux Chrétiens. Ou encore, faisons en une ville “internationale”, accessible à tous. Jérusalem aux Juifs semble trop troublant pour les nations. Ils ne peuvent pas envisager de laisser hamakom, l'endroit, aux mains des Juifs…

 Par ailleurs, j'ai entendu d'un de mes maîtres, Rav Guedalia Eisenman de la yechiva de Kol Torah, que pour la Torah le terme makom, endroit, suffit pour désigner la ville sainte car ce terme makom-endroit n'est pas simplement une description géographique, par contre Jérusalem est l'essence même de la notion espace.

Jérusalem est Hamakom, l'endroit avec l'article défini et la majuscule. L'endroit qui, selon la tradition, a contenu au premier instant de la création, toute la matière c'est de lui qu'a commencé l'expansion de l'espace.[**]

Lorsque D. ordonna Abraham de sacrifier son fils unique et aimé, Isaac, Il ne lui révéla pas la localité où devait avoir lieu l'acte suprême. Là aussi c'était tout simplement “hamakom”, l'endroit… Pourtant, quand, au bout de 3 jours, Abraham y arriva, il reconnut immédiatement qu'il était au bon endroit, wayare et hamakom… , le lieu était distinct et précis et ce lieu qui semblait appelé à amener la déchirure extrême entre père et fils se révéla l'endroit de l'harmonie et de l'unisson qui d'une part permettrait l'affirmation ultime de la grandeur aussi bien d'Abraham que d'Isaac et d'autre part qui réunirait père et fils dans une paix et une concorde définitive.

 A son tour, lorsque Jacob quitta la maison pour entamer sa vie chez Laban, il arriva à hamakom, à l'endroit. C'était là où il eut son fameux rêve prémonitoire d'une échelle dressée sur terre arrivant dans le ciel, qui contenait l'essence de l'histoire du peuple juif. C'est là, en quelque sorte, qu'il devint Jacob, le patriarche de son peuple.

Encore, lorsque nous entamons le soir de Pessah le récit de la haggada, nous commençons par les mots: barouch hamakom, bénit soit l'Eternel. Nous y utilisons le terme makom, l'endroit, pour désigner D. Lui même, puisque en définitif c'est Lui qui contient l'espace et non pas vice versa! Makom est égal à espace et à Créateur, ce terme contient tous les mystères de l'univers et sur le plan physique cela passe par la ville de Jérusalem.
 
 

Par ailleurs, nous avons déjà mentionné que le nom Jérusalem porte en lui la notion de chalom. Jérusalem se veut certainement une ville de chalom ; la ville de chalom. Mais ce chalom, c'est quoi exactement? Habituellement ceci est rendu en français par la paix. Or, chalom n'a pas cette conotation passive ou négative propre au terme paix ; Israel vient de faire la paix avec des entités arabes. Est ce que cela signifie que l'adversité a cessé? que les hostilités ont pris fin? Paix, en Israel en Bosnie ou partout ailleurs, ne signifie pas beaucoup plus, en fin de compte, que l'absence de guerre…

 Chalom de l'Hébreu, sous entend une Chelémouth, un état où on est entier (chalem), une intégrité et une harmonie! Dans le chalom il y a énergie et dynamisme, volonté et loyauté. C'est cette paix qui appartient à Jérusalem et qui reste à l'état latent disposée à émerger lorsque les civilisations seront prêtes à la recevoir.


Nous venons d'avoir un aperçu de la nature de la spiritualité de la ville de Jérusalem.

 Revenons maintenant à notre question initiale: pourquoi tout ce tumulte autour de la ville sainte? Est-ce que ce serait vraiment tout simplement que tout le monde veut s'emparer de la spiritualité exceptionnelle de ce lieu? Est-ce qu'en effet, et en définitif, le caractère extraordinairement élevé de la ville inspirerait davantage la guerre que la paix, plus la violence que l'harmonie? Bref, des guerres dites “saintes” doivent-elles vraiment leur férocité au caractère sacré de la ville?

 J'aimerais illustrer l'idée à travers une image: le Temple, l'endroit par excellence à l'intérieur de Jérusalem, est appelé en hébreu Beth hamikdach, la maison sainte. Pour nous le Temple est un bayit, une maison, un foyer, un lieu de cohabitation de D. avec ce monde et c'est cette notion de foyer qui nous éclairera le sujet.

 Les rabbins sont souvent appelés dans les conflits conjugaux. On a régulièrement recours à eux et à leur savoir pour arbitrer dans les discordes de ménage. Souvent le rabbin s'avère d'une aide précieuse, souvent sait il réconcilier les époux et réussit il à les rapprocher l'un de l'autre. Toutefois, dans une sorte de querelles nous sommes totalement impuissants: lorsque les parties réclament avoir une “dispute de religion”. C'est à dire quand un des conjoints déclare que la source de leur antagonisme est “qu'Il est trop religieux, il est fanatique”, ou bien “qu'il est impie, il ne veut rien faire et tous nos problèmes se trouvent là.”

 Dans ces querelles nous ne pouvons strictement rien faire pour la simple raison que nous savons pertinemment que le fond du problème n'est pas là. Les querelles domestiques de religion n'existent point! Cela nous pouvons l'affirmer par l'expérience et avec toute la certitude du monde. Les gens qui s'entre-tuent à cause de la religion s'entre-tuaient déjà auparavant. La religion n'est jamais plus qu'un prétexte mais elle ne s'avère jamais, jamais, une raison véritable! Il est doux et peut être plus digne d'accuser l'autre d'excès ou de manque de religion, car on parvient à heurter l'autre d'une façon plus accentuée. Toutefois, tant qu'on n'aura pas la franchise et l'honnêteté d'avouer que le fond du problème est ailleurs, il sera impossible à quiconque d'intercéder. Par contre, les époux qui vivent en harmonie ne rencontreront jamais l'obstacle de la religion. Ils sauront toujours s'accommoder l'un à l'autre et ceci sans l'intervention de quiconque.
 
 

Il en est de même dans la religion : la violence au nom de la religion n'est que mensonge! D. inspire tout sauf des guerres. Cela semble même évident. Lorsque quelqu'un pratique l'irascibilité et les sévices au nom de D., nous pouvons affirmer que la motivation réelle est toute autre.

 La chose étonnante est qu'en vérité les historiens l'avouent. Par exemple ils nous expliquent les mobiles réels de la première croisade: instabilité intérieure du pays, crise du système féodal, explosion démographique, intérêts financiers de la papauté, désire de conquête, recherche de marchés… Tant de raisons profanes qui justifient cette guerre qui toutefois sera “pieusement” masquée par l'étiquette de la guerre sainte! Cela relève de la malhonnêteté du monde puisque cela n'est que mensonge flagrant. Ce n'est pas Jérusalem, ville sainte qui inspire la violence, ce n'est que la bassesse des “grandes” civilisations. L'Islam aussi a ses raisons de s'approprier Jérusalem; sa frustration devant le Judaïsme, la religion mère. Son sentiment d'infériorité devant le monde occidental l'amène justement à vouloir s'approprier les sources spirituelles de ce monde envié.

Lorsqu'une religion ressent le besoin d'imposer ses idées à tout prix -ce qui est bien le cas aussi bien pour le christianisme que pour l'Islam-, nous pouvons tranquillement présumer que la dite religion se trouve en crise d'identité. Ceci se traduit alors par la voie facile d'obliger les autres à se plier à sa doctrine, car, là où tout le monde agit pareil on ne se sent plus obligé de se poser des questions sur la véracité de son propre comportement.
 
 

Quand un Juif tue un autre Juif “au nom de D.” nous saurons y lire les frustrations des colons qui constituaient l'avant garde et l'élite de la jeunesse d'Israël. C'était d'eux qu'autrefois l'état avait besoin pour peupler les territoires occupés. Maintenant ils se sentent relégués comme un article usé, bon à jeter… L'étiquette “au nom de D.” n'est que l'emballage pour embellir et pour donner un cachet de noblesse à l'atrocité d'un meurtre. En fin de compte, ce meurtre n'est qu'un assassinat politique de plus d'un groupuscule mécontent qui s'inscrit dans la série Ghandi, Kennedy, Sadat etc.


Le monde occidental, avec sa presse et ses médias, a crié qu'il faut démystifier la cité. Qu'il est temps de se rendre compte qu'elle n'est qu'une ville comme les autres villes, qu'il faut la faire évoluer vers une ville du groupuscule siècle. Cela nous ramène à la question à savoir si Jérusalem doit être une métropole du présent ou rester un vestige du passé.

 Selon notre tradition Jérusalem est encore autre chose; elle est la cité du futur. Celle pour laquelle nous prions pour sa reconstruction qui doit introduire le monde dans un ère nouvelle, où Jérusalem sera perçue par tout le monde comme hamakom, comme l'endroit par excellence, telle que l'ont expérimentée autrefois Abraham, Isaac, Jacob et le Peuple Juif. Le troisième Temple est celui du futur, celui de la reconnaissance universelle de D. comme maître de la création.

 Les Juifs ont la mitsvah d'aller 3 fois par an pélériner dans le Temple; lir'oth et pené ha'adon, “pour aller voir le visage du Maître”. Le terme lir'oth est écrit d'une façon qui permet une autre lecture: le'ra'oth pour aller se montrer, c'est à dire se faire voir. On visite Jérusalem et on va voir le temple non-pas par curiosité touristique. Le Juif y va pour y rencontrer D. Pour y voir la kedoucha, la sainteté qui est omniprésente dans la ville : le service du Temple, les yechivoth, les synagogues. Il y va pour y trouver de l'inspiration spirituelle, pour nourrir l'âme. Il y retourne régulièrement, notamment lors des prochaines fêtes. Il y va de nouveau pour “voir”. Mais cette fois-ci il y va aussi pour se “montrer”. Car il a quoi montrer! Regarde, dit-il à D., Tu vois, je ne suis plus la même personne, j'ai bien évolué depuis la dernière fois que je suis venu dans ce Temple. J'ai su intégrer la kedoucha, la sainteté et toutes les leçons de la ville, des kohanim -les prêtres, et des rabbins. Et maintenant je suis bien plus raffiné qu'auparavent. Ce Juif est fier de lui même, il n'est pas venu pour rien. Son retour maintenant est pour trouver encore une nouvelle inspiration pour accéder à une nouvelle élévation.
 
 

Gardons Jérusalem la ville du futur, une ville de chalom véritable. Ne la laissons pas devenir un vestige touristique de l'antiquité. Ne la laissons pas non plus sombrer vers une ville impersonnelle de plus de la dite modernité. Faisons savoir au monde que Jérusalem doit devenir hamakom, l'endroit de l'espace, où l'humanité peut trouver sa finalité. En attendant la reconstruction du 3ème Temple ce sont les yechivith, les lieux d'étude de la Torah qui assurent le chemin vers cet avenir. Conservons et construisons la kedoucha, la sainteté pour en faire la capitale du machia'ah, --bimhétra biyaménou, rapidement de nos jours, amen.


Notes:
[*] Nous ignorons ce qui a amené l'état d'Israël à “fêter” maintenant les 3000 ans de Jérusalem. Selon la tradition juive la Sortie d'Egypte a eu lieu dans l'année 2448. Le roi David transféra son trône de `Hebron à Jérusalem dans l'année 2891, c'est à dire il y a 2865 années. Les trois milles ans de cette ville seront donc pour dans 135 années!

[**] Il est intéressant de rappeler que parmi les différents miracles qui avaient lieu dans le premier Temple, plusieurs concernaient l'espace. Ainsi ce n'était jamais arrivé que quelqu'un dise tsar li hamakom, l'espace m'est étroit à Jérusalem. Et bien que les gens au Temple étaient très serrés, il y avait toujours l'espace pour s'y prosterner. Aussi, en mesurant l'intérieur du Sacerdoce on pouvait constater que miraculeusement l'arche n'occupait point d'espace! 


© Centre d'Etudes Juives Ohel Torah

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