REPONSE : Pourquoi les rabbins parlent ils de ce sujet seulement aujourd'hui? A qui s'adresse cette “inculpation”? Il nous parait plus juste, simplement d'inverser la question et de la formuler d'une autre façon : comment se fait-il qu'un rabbin ne soit jamais invité à parler de ce sujet dans un forum ? Pourquoi les médecins, les parents d'élèves, les organisations sociales, la radio dans leurs différentes soirées et débats n'invitent-ils pas le rabbin pour parler de ce problème ?
J'ai une doléance à faire : est-ce normal qu'au cours d'une récente soirée de médecins juifs ayant pour thème le SIDA, à Marseille, l'invité exclusif soit un philosophe ? A la question posée: pourquoi n'invitez-vous pas un rabbin plutôt qu'un philosophe ? On nous a répondu que le but de la réunion était de “faire venir du monde”, et, face à cet enjeu, le philosophe est préféré au rabbin.
Autre exemple, le président d'une synagogue marseillaise invite un professeur très compétent dans le domaine du SIDA, pour parler, dans l'enceinte de sa synagogue, mais pas de rabbin... On a donc l'impression que le public qui devrait, entendre le rabbin, a éclipsé ce dernier.
Cette grande conférence sur le SIDA a été, tant sur le plan financier que sur le plan de la logistique, à la charge exclusive de notre Bet hamidrach Ohel Thora. Sans cette initiative, la parole aurait-elle été donnée au rabbin ? (Il est vrai que le 1 er décembre 1994 lorsque tout le monde parle du SIDA en France, un forum à été organisé sur les antennes de la radio juive, et parmi tous les invités, un rabbin était présent. Mais sauf erreur de ma part je ne pense pas qu'il y ai eu de précédents sur les ondes juives marseillaises.)
Le SIDA est un sujet qui touche le grand public, et les intéressés savent généralement bien réclamer leurs droits; quand il s'agit des mariages mixtes, de la sexualité, ect. on sait trouver le rabbin, mais pour le thème du SIDA on ne fait pas appel au rabbin. De deux choses l'une, ou l'on pense que le rabbin n'a rien à dire sur un sujet, qui ne le regarde pas, ou bien, ce que je crains peut-être d'avantage, c'est que l'on n'a pas envie d'écouter le rabbin; on se doute de ce qu'il va dire et le contenu de son discours risque de déranger car il remettra peut-être en question notre comportement.
Si les rabbins se sont abstenus de parler de ce sujet jusqu'à ce jour c'est le fait d'une raison plus profonde : parfois, on ne peut pas parler. Cela est pour nous rabbins, douloureux, car on sait qu'il n'y aura pas d'écoute. La chose est simple : Il a fallu d'une part que l'événement devienne universel de sorte que “tout le monde en parle”, et d'autre part que le monde médical affiche son impuissance, pour qu'enfin on soit à l'écoute d'un discours différent. Si j'avais tenu la même conférence il y a quelques années, le public ne serait pas venu en si grand nombre, persuadé que la découverte d'une thérapeutique curative ou préventive n'était qu'une question de mois… Dans ce cas de figure l'opinion du rabbin aurait semblé peu importante.
Le discours rabbinique étant souvent interprété de moraliste, on l'évite. Il a fallu malheureusement en arriver au stade actuel ou l'on se dit : “puisqu'il n'y a pas de solution, après tout, pourquoi ne pas écouter si la Tora a quelque chose à proposer!”... Ceci est croyez-moi très douloureux. Je voudrais vous donner une image de cela : le rabbin, à travers la Tora, a souvent des solutions à des problèmes les plus divers à proposer et sa plus grande douleur est que malheureusement il ne peut formuler ces solutions car elles ne seront pas écoutées. Imaginez-vous qu'un médecin possède le remède d'une affection grave, mais il n'arrive pas à faire avaler la pilule au patient, le médecin sait qu'il n'a pas la confiance de son patient. Vous pouvez imaginer la souffrance de ce médecin face à son impuissance il a la possibilité de guérir, mais il voit périr son patient ! Sachez que nous souffrons de cela. Lorsque le rabbin parle, on n'est pas à l'écoute, du fait de la présomption d'un discours, “religieux”.
Les rabbins n'ont pas parlé du sujet du SIDA jusqu'à ce jour, car, principalement le temps n'était pas arrivé.
Q : Je suis tout à fait d'accord avec le fait que le slogan “protégez-vous” est insuffisant. Et si je crois à une véritable éducation sexuelle basée sur la connaissance de l'autre et le respect de son identité, je pense qu'en temps qu'enseignante et que, voyant les autres réagir (écoles laïques), il y a urgence et que le préservatif n'est qu'un moyen à diffuser pour empêcher l'extension de l'épidémie. Il faut y joindre l'enseignement mais au dépend de tant de conditions, sensibilité, propre expérience, vécu familial qui demande du temps, des moyens et des formateurs, en attendant on fait quoi ?
R : Dans la vie on a toujours un peu moins de ce que l'on souhaite. Si on cherche à gagner de l'argent on travaille dur on aura un peu moins, il faut parfois des hautes ambitions dans la vie pour avoir la moitié de ce que l'on souhaite. Ainsi si tout ce que l'on cherche ce sont les moyens à court terme, ce que l'on appelle se protéger, alors on aura un tout petit peu moins, c'est à dire l'échec total: On se protège à moitié, une fois sur deux. L'objectif doit être plus haut. Si l'on me pose en toute honnêteté la question du préservatif, je dirai que -outre les raisons de la hala'ha - que cela me parait la pire des solutions. Mais, rappelons nous d'abord que de toutes les façons les utilisateurs de ces méthodes vivent dans un contexte hors de ce que la Tora pense, et à ce niveau là ils ne viennent pas nous demander notre avis! La question, quelque part est dépourvue de sens. Quelqu'un a avancé l'image suivante : une personne veut aller voler les fruits dans le jardin de son voisin, posera-t-il le problème au rabbin de la grille qui protège le jardin : ai-je le droit de scier les pics pour ne pas me blesser? La question de se protéger, à qui s'adresse-t-elle ? A des gens dans la Tora ? Ou a des individus qui ont des rapports en dehors du mariage ? La question semble tout simplement ridicule dans ce contexte. Toutefois ceci peut paraître un discours moraliste et c'est pour quoi je préfère une autre image : si lorsque quelqu'un qui est malade vient demander : “je n'ai pas les antibiotiques, que le médecin m'a prescrit, à la bonne posologie; puis-je prendre 2 mg trois fois par jour au lieu de 3 mg trois fois par jour ?” On répondra non à cette personne car si l'on prend la dose inférieure le germe ne pourra pas être tué. Pire, les antibiotiques pris à dose insuffisante vont développer une immunité, de résistance du germe. Par la suite même si la posologie est adaptée à bonne dose cela ne servira plus à rien. Il en est de même avec le préservatif il donne une fausse impression de protection. c'est un moyen de protection de 2 mg alors que l'on a besoin de 10. Comme je vous l'ai dit au cours de mon intervention le discours de protection ne fait pas le poids face à la société. Le discours doit être centré sur le bonheur, la grandeur de l'homme, je pense que même dans les milieux défavorisés tels que nous les rencontrons dans les quartiers nord de Marseille, il faut que l'on commence à parler de la construction de quelque chose infiniment plus grand. C'est ainsi que l'on aidera l'individu à prendre conscience de sa personnalité.
Q: Vous interprétez le SIDA comme étant la conséquence d'une morale trop permissive, ou de l'absence de morale. En est-il de même pour les fléaux que l'humanité a connus au moyen âge, la peste, le choléra etc. A ces époques les morales sexuelles étaient plus fermes, les religions étaient omniprésentes, on croyait en D. avec la peur du diable !
R: Les maux ont toujours existé. Je vous ai parlé de la lèpre. Cependant il y a deux grandes différences: premièrement s'il est vrai que les épidémies ont toujours existé, c'est la première fois qu'une plaie sévit sur toute la surface de la terre. Le SIDA est omniprésent, il n'y a pas un endroit dans le monde qui est épargné. D'autre part à aucun moment les maladies n'ont eu de relations directes avec le comportement humain comme avec le SIDA. Le choléra, la diphtérie c'est certain apparaissent en fonction des conditions d'hygiène dans lesquelles on vit. Au moyen âge l'hygiène était souvent précaire et méconnue; c'est certain les mitsvot comme Miqwé, le bain rituel, Taharat michpa'ha, la pureté familiale, Brit Mila, la circoncision, Nétilat yadaïm tout au long de la journée, toutes ces mitsvot ont énormément contribué à ce que le peuple juif, par le passé, soit moins atteint que d'autres. Au moyen âge, l'eau n'était pas considérée comme aujourd'hui, les bains étaient rares, cela n'existait que chez le peuple juif. Mais c'était un contexte culturel, on ignorait tout de la transmission des diverses affections. Avec le SIDA l'homme transmet le virus en toute connaissance de chose, et cela est nouveau. Lorsque l'homme lui même détruit le monde, alors le fait que les plaies ont toujours existé ne rassure en rien.
Deuxièmement, malgré le fait que les plaies ont toujours été là, et c'est ce que nous avons vu à propos de la lèpre, on ne peut banaliser ce qui se passe dans la vie de tous les jours : l'homme à toujours existé, il y a des milliards d'hommes sur terre, ce n'est pas pour cette raison que moi en tant qu'individu je suis inexistant; je dois m'assumer, vivre, je dois être quelqu'un. Les maladies ont été les conditions dans lesquelles l'homme à vécu et les maladies ont contribué à faire avancer l'homme. Sur le plan scientifique : en cherchant à combattre ces affections l'homme est devenu plus grand, sur le plan social : la maladie a obligé les gens à s'approcher les uns des autres, sur le plan psychologique : la fragilité de l'homme l'a empêché de vivre isolé, mais aussi sur le plan religieux : la maladie fait que l'homme prie ! Qui peut dire qu'il aurait connu D. s'il n'y avait pas eu des souffrances dans sa vie ? Mais le thème de la souffrance de l'homme est un autre sujet. La maladie engendre donc la recherche, fondamentale et thérapeutique, l'amitié sur le plan social, la construction de l'homme sur le plan psychologique, et affirmer sa spiritualité sur le plan religieux. Tels sont les aspects “positifs” qui se trouvent dans la souffrance.
Q : tous les rabbins, les sages en tous genres, les croyants en général, ont toujours cru aux valeurs de la fidélité pendant le mariage, et interdit les relations avant le mariage. Pourtant le SIDA est là et ce n'est pas pour autant la faillite du discours religieux qu'il faut regretter, les lois de pureté familiale, les réglementations en matière sexuelles sont bien connues, dans les familles pratiquantes, mais n'y a-t-il pas dans la communauté beaucoup de jeunes atteints par le SIDA ? Le message est-il mal passé ?
R: La question est : a quoi cela sert-il de parler ? L'échec de la parole. Cette notion d'échec dans la communauté américaine m'amène à réfléchir sur le fond du sujet ; il y a pratiquant et pratiquant. Laissez-moi vous donner un exemple non chargé d'humour : une dame forte est au restaurant en train de déguster un bon plat quand tout à coup entre dans ce restaurant son nutritionniste; ce dernier lui dit : “mais je vous ai mis à la diète !” - “bien sûr, répond la dame - ma diète je l'ai mangée ce matin, çà c'est mon repas de midi !”, on ne peut faire les choses à moitié, certaines personnes se disent pratiquantes, “je mange cacher”, mais pendant les vacances quand je suis à San Remo, comme là bas il n'y a rien de cacher, alors, vous comprenez! Cela ne s'appelle pas être pratiquant. On ne peut jouer avec les mots, se promettre d'être fidèle à sa future femme, mais en attendant se permettre des choses... C'est pour cela que j'aimerais connaître de quel type de familles pratiquantes cette étude fait référence.
Quant à l'échec du discours, ce n'est pas le problème du rabbin. Je pense que l'on doit parler même si on est condamné à l'échec. Je vous donne un dernier exemple : ce n'est pas, un rabbin, un prophète ou un Kohen qui parle, mais c'est D. lui même qui parle à Adam : “tu vois l'arbre, cet arbre qui est beau, séduisant, il porte ses fruits, mais il t'est interdit. Adam Harichon et Hava consomment néanmoins de cet arbre et que voit on ? On rencontre l'échec d'une parole et chez qui voit-on l'échec de cette parole ? Chez D. lui même. Alors il n'y a pas de raison à mon humble avis que le rabbin réussisse mieux là ou D. a échoué… La Tora nous donne ici une image, on doit parler et avertir. Et ce qu'il y a d'extraordinaire c'est que malgré le discours il existe un libre arbitre. La réussite n'est pas le mécanisme de subir les paroles d'un rabbin, cela ne s'appelle pas une réussite mais un conditionnement. La véritable réussite est que l'on prenne conscience de ce qu'il nous raconte, d'être à l'écoute, de l'entendre. C'est peut-être D. qui nous parle, ou un prophète avec les paroles de D., ou un Kohen qui vient avec le sentiment de D., ou enfin le rabbin qui vient tout simplement avec le souvenir de D.. Dans tous ces cas je peux l'écouter et, quand je sors de là, je fais ce que je veux. C'est là la grandeur de l'homme : il est maître de ses décisions. On ne peut parler en terme d'échec ou de réussite. Le seul thème qu'il existe ici sur terre c'est le thème du devoir, et tant qu'il y aura un homme, un seul, qui maintient cette parole, c'est cela qui s'appelle la réussite.