Le Retour des Dinosaures

Les dinosaures sont là! 65 millions d'années après leur extinction, ils ont réussi le tour de force d'une résurrection. Cette fois-ci c'est l'esprit des gens qu'ils ont envahi.

L'homme est, depuis tous les temps, fasciné par ces bêtes. Peut-être, parce qu'il s'agit de la seule espèce animale qui marche érigée. Le dinosaure a cela en commun avec l'homme qu'il vit verticalement, dressé debout sur ses pattes arrières. Ceci est, grosso modo, leur caractéristique principale.

Nous sommes aussi fortement intrigués par leur disparition mystérieuse. Que sont-ils devenus Tricératops, Brontosaure et Tyrannosaure Rex? Nul ne sait expliquer comment ces bêtes géantes, ont disparu de la terre; soudainement, par un cataclysme ou, au contraire, graduellement par épuisement. La vérité est que relativement peu est connu sur la vie de l'époque paléontologique.
 
 

Et, nous, que devons nous penser de tout cela? Cette vague de culture dinosaurienne aujourd'hui, est-elle simplement innocente et puérile, ou cacherait-elle quelque part autre chose?[*]
 
 

Lors du cinquième jour de la création, D. fit émerger les taninim hagedolim, les grands taninim. Nous n'avons point de renseignements supplémentaires sur ces êtres dont on n'entendra plus parler. Cette information de la Torah reste brève, isolée et hermétique. C'est comme si la Torah ne trouvait pas nécessaire de s'attarder davantage sur ce sujet, tout en voulant, quand même, nous communiquer une allusion rapide sur ce fait.

 Habituellement on traduit le mot taninim par serpent; les serpents géants. Dans la création nous trouvons donc mention de reptiles géants qui, depuis, semblent avoir cessé d'exister.


Lorsqu'Eve, la première femme, se trouva face au serpent, elle ne se trouva pas devant un animal quelconque. Elle fut en présence d'un adversaire de taille - et ceci dans tous les sens! Le serpent du récit, était un animal géant, qui marchait debout. Nous lisons, en effet, que ce fut justement suite à son intervention malveillante que D. lui ôta les pattes! Avant la faute, l'animal parlait, discutait, raisonnait, et son interlocuteur était l'être humain! Que désirait le reptile? Pourquoi tenait-il tant à ce que l'homme mange le fruit interdit? Nous lisons encore qu'il demanda à Eve si c'était vrai que D. lui avait interdit de consommer le fruit de l'arbre de la connaissance. Il s'étonna ostensiblement de ce fait. L'idée de l'interdit lui fut absolument incompréhensible. Car, comment peut-on aller à l'encontre des instincts?

Les termes qu'il utilisa furent Af ki amar Elokim lo tokhelou… Nous sommes là devant un terme qui est peu habituel dans la Torah et qui, en effet, n'est pas la forme d'une question mais d'une affirmation. Curieusement, ceci se laisse mieux traduire par:“Même si D. t'a interdit…, tu pourras manger quand même.” A première vue cela parait déconcertant ; “Même si…”. Le serpent tente à induire Eve à l'interdiction en lui disant:“Même si D. t'a interdit…” Peut-on justifier un comportement contre la volonté de D. avec l'argument de “Même s'Il t'a dit?”

 Le reptile, dans ce récit, est majestueux. Il représente le monde animal dans toute sa puissance, dans toute sa violence et surtout dans la plénitude de l'idéologie bestiale. C'est que l'animal aussi accomplit le désir de D. Lorsque celui-ci se livre à ses instincts et ses impulsions primaires, il accomplit exactement ce que D. attend de lui. L'animal ne connaît point le principe du perfectionnement. L'idée même qu'on puisse se parfaire, lui est totalement étrange. Dans son concept de l'existence, le désir de vouloir maîtriser les tendances primitives et naturelles, contredit la droiture de la création. En effet, ce serait justement en allant contre sa nature, que l'animal perdrait toute sa raison d'être dans le monde. En ceci, l'homme et l'animal se trouvent diamétralement opposés dans leur recherche de conquête de l'univers. L'auto-perfectionnement, la recherche d'une évolution spirituelle, à travers la domination des instincts primaires, est une possibilité offerte en exclusivité, à l'homme. (Commentaire de Rav S.R. Hirsch.)


En fin de compte, ici, dès l'aube de l'histoire, nous assistons à la lutte pour la maîtrise morale de l'univers. A qui va appartenir ce monde : à l'animal ou à l'homme? Ira-t-on vers un monde primitif et bestial ou un monde raffiné et intelligent? Est-ce que la bête devra se ranger dans une hiérarchie humaine, où elle devra se contenter d'une deuxième place, ou, au contraire, le monde sera-t-il le sien, où l'homme ne sera que l'invité, toléré seulement, tant qu'il accepte les désirs primitifs comme vérité première?

Dans ce sens c'est justement le reptile, le plus primitif des animaux, qui fera entendre sa voix comme le représentant le plus authentique du monde animal.

 Ce serpent va la tête levée, tout comme l'homme debout, sur deux pieds. Il est fier, et il se sent à même de faire face à l'homme et de se mesurer à lui. Il possède une philosophie entière pour justifier, soutenir, et réclamer un monde animal…

 D., dans la suite de l'histoire, lui ôte ses pattes. Le colosse ventripotent dégénère pour devenir un animal rampant, s'avançant dans la poussière et le sable. Désormais, pattes, taille et parole seront perdues. L'empire du dinosaure a pris fin. D. révèle au monde ses intentions véritables: derrière le grand discours du naturel, de l'instinctif et de l'intuitif, se cache le désir de définir le monde comme uniquement matériel et charnel ; or, D. souhaite que l'homme devienne conscient du caractère vicieux de ce langage.


Nous ne comprenons que peu de choses de ce qui se passait au Jardin d'Eden avant la faute d'Adam et Eve. Le monde, à cette époque, était différent du notre d'aujourd'hui. La terre produisait sa récolte sans aucun labour. Les animaux y parlaient et avec leur taille démesurée, leur morphologie aussi différait de celle des bêtes contemporaines. Apparemment, aussi, les lois atmosphériques et physiques qui régnaient en ce temps, ne correspondaient pas à celles du monde d'après. Toute civilisation postérieure fut construite sur les débris fossilisés ensevelis de cette époque.

 Nous ne possédons que des renseignements carbonisés de cette période. Ce temps fut la préhistoire. La Torah nous en parle, pas longuement, juste suffisamment pour que l'homme puisse comprendre le minimum de l'évolution réelle de l'univers.


D. fit prendre conscience à l'homme des intentions véritables du serpent. Cela fut fort nécessaire car le discours de l'animal paraissait noble, raisonnable et généreux. Il sonnait parfaitement convaincant lorsqu'il décrivait le caractère charitable et pur des désirs primitifs. Enfin, l'animal, lui au moins, semblait comprendre ce monde!

 Après la faute d'Adam et Eve, la bête géante devint toute petite. Tout à coup, on la voyait dans ses justes proportions: rampant sur terre, se baignant dans la terre et se nourrissant de poussière. Soudainement on vit que ce géant n'était qu'un assoifé du monde matériel et désormais la femme ne pouvait que haïr le discours primaire de l'animal-roi.
 
 

Cependant, la culture de dinosaure ne cessa pas pour autant!

 Dans chaque génération les matérialistes purs persistèrent à laisser la parole à l'animal en nous. Et, pire encore, à cultiver et faire croître cet animal en nous. Aujourd'hui ils sont encore plus présents que jamais, se présentant toujours avec la plus haute respectabilité.

 La religion, nous disent-ils, est une source dangereuse de frustrations. L'homme ne devrait pas chercher son bonheur par la taharat michpa'ha, par la pureté familiale. On ne devrait pas pratiquer le mikvé. Quant aux interdits de la cachrout, ils nous conseillent de les abolir le plus rapidement possible.

Que nous proposent-ils à la place? Le bonheur ultime! La dite liberté. L'épanouissement par la promiscuité. Une vie sans restrictions et retenue. Consommez, vivez, carpe diem et ne délaissez surtout rien. Mais, voyons donc, ce fut exactement le discours du serpent originel et le voilà donc, tristement de retour.


Lorsque la Torah nous interdit la consommation des reptiles, des insectes et de tout ce qui rampe par terre, nous trouvons dans le texte quelques points curieux.

 D'abord, en interdisant ces animaux, la Torah s'exprime en précisant: “Kol holekh al ga'hon - Vous vous abstiendrez de `tout ce qui avance sur le ventre'. Ceci fait manifestement allusion à l'histoire du premier serpent, qui fut maudit par un langage identique : “Al geh'onekha telekh.”, `C'est sur ton ventre que tu avanceras'.

 D'autre part, elle fait suivre cela en ajoutant: “Je suis l'Eternel qui vous ai fait sortir du pays d'Egypte”. Rachi, au nom du midrach, explique: Le seul fait que vous ne consommiez pas ces bestioles, justiferait déjà la sortie d'Egypte! Rien que le fait de ne pas manger des animaux rampants, sans l'accomplissement d'aucune autre mitsvah, suffit pour que D. fasse sortir un peuple de l'esclavage!
 
 

La Torah semble comuniquer à l'homme le message suivant: L'homme ne doit jamais se laisser rabaisser pour s'identifier à ce qui se passe à ras du sol. A tout instant l'homme doit se rappeler la spécificité unique qui est sienne : l'élévation. Tant que la hauteur de l'insecte - ne ce serait-ce que ces quelques milimètres - le sépare de la terre, l'homme est homme, éloigné du concept animal et primaire. Tant qu'il connait et maintient le principe du rafinnement spirituel, en opposition avec les impulsions matérielles, il a sa place sur terre. Déjà la civilisation Egyptienne d'antan, avait renié ces vérités. Par conséquent, D. nous dit que, par le seul mérite de cette mitsva, la sortie d'Egypte a son plein sens. Le petit effort produit par l'homme, équivaut à la déclaration de sa prise de conscience qu'il est véritablement capable de s'élever vers le ciel.
 
 

Rav YITSHAK JESSURUN


Note:
[*] Une partie de ce développement est construite sur une idée que j'ai entendue en 1975 de Rav Claude Schwob Chlita.
© Centre d'Etudes Juives Ohel Torah

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