PARCHAT TSAV

"ET TOUT SANG VOUS NE MANGEREZ PAS..." (Lévitique 7/26)

M. Daniel Benhamou
Enseignant à Strasbourg

L'interdiction de consommer du sang est mentionnée à quatre reprises dans la Torah (le Pentateuque). Tout d'abord au chapitre III verset 17 du Lévitique. Après avoir exposé les lois des différents sacrifices appelés shelamim, la Torah termine en disant :

"Décret éternel pour vos générations dans toutes vos demeures, toute graisse et tout sang vous ne mangerez pas ".

L'ordre est laconique sans précision aucune, faisant suite à un sacrifice dont le propriétaire pourra manger une partie, mais une partie seulement, car la graisse comme le sang sont quant à eux interdits. La seconde fois est dans notre Sidra, (lecture hebdomadaire) il fait suite à l'interdit de manger le sacrifice shelamim en état d'impureté, et il suit toujours le problème de la graisse ; "Tout sang vous ne mangerez pas dans toutes vos demeures, du volatile et de la bête. (v. 27) Toute personne qui mangera un sang quelconque, cette personne sera retranchée de vos semblables."

Cette fois le verset nous précise la sanction toujours dans le même contexte des sacrifices. La troisième mention est une fois de plus dans le Lévitique au chapitre XVII versets 10, 11, 12 et 14 :

"Et chaque homme de la maison d'Israèl et le résident étranger parmi eux qui mangera tout sang, alors je m'occuperai tout particulèrement de cet être qui mange le sang et le retrancherai du sein de son peuple (v.11). Car la la vitalité (nefesh) de la chair est dans le sang, et Moi (D.ieu). Je vous l'ai donné pour l'autel afin d'obtenir un pardon pour vos êtres, car c'est le sang qui est dans l'être qui obtient le pardon... "

Ce passage est inséré, une fois encore, dans des questions liées aux sacrifices, et plus particulièrement à l'interdit d'offrir un de ceux-là en dehors de l'espace réservé à cet effet. Dans cet extrait la Torah est plus prolixe, elle s'adresse à chaque Juif personnellement, et, point important, se fondant sur une réalité -la vitalité de la chair est dans le sang- elle explique deux thèmes : premièrement l'interdit de manger du sang et, la raison de son utilisation dans le cadre des sacrifices expiatoires. Les versets suivants poussent plus en avant cette exigence en demandant de recouvrir de terre le sang d'un animal (oiseau ou bête sauvage) après l'avoir égorgé, et toujours pour la même raison.

La quatrième référence se trouve dans le Deutéronome chapitre 12 versets 16, 23, 24 et 25. Nous ne les traduirons pas, mais remarquons que quand Moshé Rabbenou reprend cet ordre divin il stipule (v. 23) : "Seulement sois fort pour ne pas consommer le sang...", comme pour nous encourager à ne pas céder à une tentation contre laquelle il nous faudra mobiliser toute notre force.

Et ici l'interdit est réitéré en opposition aux sacrifices pour lesquels le sang devra être déversé. Nous ne pouvons pas, dans le cadre de cette étude, faire l'analyse détaillée des versets, mais avec ces remarques préliminaires nous allons essayer de comprendre quelle est la nature de cet interdit, ou, autrement dit à quel département de notre personne il s'adresse.

Pour cela, voyons un passage du Guide des égarés de Rambam (Maïmonide) :

" Il faut savoir que les Sabiens (païens) considéraient le sang comme une chose très impure, et, malgré cela, ils le mangeaient, parce qu'ils croyaient que c'était la nourriture des démons, et que, si quelqu'un en mangeait, il fraterniserait par là avec ces malins esprits qui venaient auprès de lui et lui faisaient connaître les choses futures, comme se l'imagine le vulgaire à l'égard des démons. Il y avait cependant des gens à qui il paraissait dur de manger du sang, car c'est une chose qui répugne à la nature humaine. Ceux-là donc, ayant égorgé un animal, en recueillaient le sang dans un vase ou dans une fosse et mangeaient la chair de cet l'animal auprès du sang ; ils s'imaginaient, en faisant cela, que les démons mangeaient ce sang, qui était leur nourriture, pendant qu'eux-mêmes ils mangeaient la chair, et que, par là, la fraternisation pouvait être obtenue, puisqu'ils mangeaient tous à la même table (...). C'étaient là des opinions suivies dans ces temps, acceptées avec empressement et généralement répandues, et dont la vérité était hors de doute aux yeux du vulgaire. La loi parfaite (la Torah) entreprit de faire cesser chez ceux qui la reconnaissent ces maladies enracinées, en défendant de manger du sang ; elle insista sur cette défense autant que sur celle de l'idolâtrie ; D. a dit : "Je m'occuperai tout particulièrement de cet être qui mange le sang... " (Lévitique 17/6), de même qu'il a dit au sujet de celui qui donne de sa postérité à Moloch : "Je m'occuperai tout particulièrement de cet être..." (ibid. 20/6). Il n'existe pas de troisième commandement au sujet duquel on s'exprime de cette maniè

Rambam, dans la troisième partie de son Guide des égarés, décompose les lois de la Torah en plusieurs catégories. La défense de consommer du sang est aussi expliquée au chapitre 48 de la troisième partie, mais très brièvement. C'est dans le passage que nous avons cité que Maïmonide analyse plus longuement cet impératif. La démonstration de Rambam se fonde sur deux points forts : le contexte de cette défense, et, l'expression "Je m'occuperai tout particulièrenient... " utilisée uniquement pour l'idolâtrie. Il ne s'agit donc pas ici d'un interdit de même nature que celui des animaux impropres à la consommation. Nous n'avons pas le droit de nous nourrir du cheval mais l'on peut très bien l'utiliser pour de l'équitation ou labourer notre champ. Ce qui est interdit dans les aliments non cacher c'est d'en faire notre nourriture, de les intégrer en nous, mais non pas leur commerce. En revanche, la problématique dans laquelle Rambam inscrit l'interdit de manger du sang, est liée à notre nature qui est attirée par le sang et ce qu'il pourrait susciter. Cette attirance est une de ces maladies enracinées dans l'homme et dont la Torah entreprend de nous en distancer. Et c'est à ce titre que l'on nous demande de ne pas en consommer, c'est pour nous éloigner de cette propension à faire commerce avec le sang, ou plus précisément d'entretenir une certaine relation avec ce dernier. Il faut parfois le recouvrir quand on égorge un animal, et dans les sacrifices on doit le recueillir dans un récipient et le déverser à la base de l'autel.

Il est un fait : le sang exerce une fascination sur nous. Pour s'en convaincre il suffit de se rappeler les combats de gladiateurs ou les fosses aux lions où tout le monde pouvait voir des gens se faire déchiqueter. Mais de ce point de vue là, nous sommes nous aussi tout autant attirés par ce genre de spectacle. Les films d'horreurs font salle comble et les médias utilisent sans vergogne cet attrait pour le sang. Tout comme le reste du service au Temple, c'est une invite à l'abandon d'une pulsion idolâtre, non pas en éradiquant la vue ou la présence du sang mais en l'utilisant de manière signifiante. Son aspersion peut même servir à purifier quelqu'un. La raison pour laquelle il nous est interdit de consommer le sang, "la vitalité (nefésh) est dans le sang", est la même que celle invoquée pour nous permettre d'obtenir un pardon.

Souvenons-nous que pour échapper à la dernière plaie d'Égypte, il a fallu badigeonner les linteaux des portes du sang d'un agneau, mais ce sang devait être à l'intérieur des maisons comme "signe" ('oth), cet acte nous renvoyait à notre propre intériorité : il n'y a rien à montrer !


© Centre d'Etudes Juives Ohel Torah

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