PARCHAT CHELAH LE'HA

ON NE TROUVE QUE CE QUE L'ON CHERCHE


Oren Recht
Ingénieur en traitement d'image, Paris

La paracha de cette semaine s'ouvre sur l'envoi de douze explorateurs (meraglim) dont la mission est d'observer la terre d'Israël (Canaan à l'époque). Rachi met immédiatement en lumière le fait que l'initiative de cette exploration revient à Moïse et non pas à D. En effet, il est écrit "Chla'h le'ha - envoie pour toi" (Nombres XIII,2), sous entendu "Si tu veux les envoyer, fais le ; mais ceci n'est pas un ordre, dit D. à Moïse" (Rachi sur place). Par la suite ces explorateurs rapporteront une vision extrêmement pessimiste et mauvaise de la terre de Canaan. Ceci sera considéré comme une faute majeure par D. et vaudra à toute la génération des adultes de l'époque de mourir durant les 40 ans supplémentaires passés dans le désert.

Ramban (Nahmanide) se demande quelle est la part de responsabilité de Moïse dans cette faute. En effet, n'est ce pas lui qui les a envoyés ? Ne leur a-t-il pas demandé de rapporter ce qu'ils voyaient, de décrire les habitants, les villes, les villages, la qualité de la terre (Nombres XIII,18-20) ? Il semble a priori que Moïse laisse planer un doute sur la qualité de la Terre Promise. S'il avait voulu éviter tout problème, il aurait certainement pu directement faire entrer le peuple sur sa terre et commencer la conquête, d'autant plus que jusqu'à présent il avait toujours décrit cette terre avec les meilleurs qualificatifs.

On pourrait même se demander en quoi consiste la faute. En fait, ces explorateurs n'ont fait que relater leurs observations. N'était-il pas vrai que les fruits étaient gigantesques, que cette terre était peuplée de géants et qu'il en mourait par centaines lors du passage de ces "touristes" ? De plus, leur rapport ne contenait-il pas tout simplement les réponses aux questions de Moïse ?

La réponse tient dans la divergence de conception de la mission qui était confiée aux explorateurs. Il est dit que le but de cette opération est "d'observer la terre - veyatourou et érets kenaan" (Nombres XIII,2), mais il n'est pas précisé ici l'utilisation finale de ces observations. Normalement, lorsqu'on envoie des explorateurs avant la conquête d'un pays, leur mission consiste à repérer les points faibles de l'ennemi, la topographie du terrain ainsi que l'emplacement de ses places fortes afin d'organiser plus efficacement la guerre de conquête. Il s'agit là d'un procédé usuel auquel D. ne reproche rien. D'ailleurs Josué a bien envoyé deux espions dans Jéricho avant de débuter sa conquête, et D. n'y a rien vu de mal ! Or c'est précisément dans cet objectif d'espionnage que Moïse envoya les douze explorateurs. En revanche, ceux-ci considéraient leur mission sous un autre angle : ils semblaient vouloir observer cette terre pour déterminer si elle conviendrait à l'installation du Peuple d'Israël.

Or cette divergence de vues donne lieu à des rapports d'explorations diamétralement opposés :

Dans le premier cas, on note les points faibles de l'ennemi. Par exemple, le fait qu'ils meurent par centaines peut prouver qu'ils sont vulnérables en ce moment. De plus, la foi en D. de ces douze chefs de tribu aurait du leur faire comprendre que ce phénomène était un miracle destiné à détourner l'attention des autochtones afin de laisser ces "visiteurs" circuler librement.

En revanche, dans le deuxième cas, on interprète la taille des habitants et des fruits comme une incapacité à maîtriser et à conquérir la terre. De plus, ceci met en lumière un manque évident de foi (émouna ); en effet même si ce peuple est puissant, D. ne peut-il pas faire en sorte que nous le battions afin d'entrer dans cette terre comme Il l'a promis à nos pères ?

Il apparaît donc que la faute des explorateurs ne se situe pas au niveau de leur rapport, mais au niveau de la conception qu’ils avaient de ce voyage. Moïse, lui, n'a pas fauté car d'après lui la mission d'espionnage qu'il leur avait confiée était tout à fait louable.

La paracha se clôture par le fameux troisième paragraphe du chema qui traite de la mitsva de tsitsit. Il y est précisé au sujet de ces franges que "oureitem oto (…) velo taatourou a'haré levave'hem vea'haré éney'em acher atem zonim a'haréhem - Et vous les verrez (…) et vous ne vous détournerez pas [en suivant] votre cœur et vos yeux après lesquels vous vous prostituez" (Nombres XV,39). Rachi explique que "le cœur et les yeux sont les espions (meraglim, le même terme que pour les douze explorateurs) du corps : l'œil voit, le cœur convoite et le corps accomplit la faute".

Mais d'autres commentateurs comme Malbim notent que le verset a placé le cœur avant les yeux. Ils expliquent ainsi que "Si les images du désir n'avaient pas commencé par dominer malignement son cœur pour se dégager de la crainte de D., il ne se serait pas laissé entraîner par la perception de ses yeux". Ainsi on retrouve l'idée que c'est la prédisposition d'esprit avec laquelle on aborde une situation dangereuse qui va nous guider dans notre perception et donc dans nos actes. D'ailleurs ils est bien connu que la mémoire est sélective et que nous ne retenons que ce qui nous intéresse !

Finalement, cette paracha montre du début à la fin que l'essentiel est contenu dans l'état d'esprit que nous avons lorsque nous sommes confrontés à une situation nouvelle. Dans le domaine du comportement humain du moins, ce n'est pas l'observation qui guide la pensée mais bien souvent l'inverse. Puisse D. nous aider à découvrir sans cesse le monde avec des yeux guidés par un cœur plein de foi, d'intelligence et de bonnes midot.


© Centre d'Etudes Juives Ohel Torah

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