M. David Dayan
Collel Mir, Jérusalem
Au début de notre paracha, la Torah nous raconte qu'enfin, après de nombreuses péripéties, Ya'akov s'installe près de Yitshak son père à Hévron.
Le midrach, rapporté par Rachi, remarque une différence dans le premier verset : Ya'akov s'est installé dans le pays de résidence de son père, en terre de Cena'an' ; d'abord, à propos de Ya'akov, le texte parle de yechiva, d'installation, puis, en relation à Yitshak le verset emploie le terme de résidence, - megouré, venant de la racine ger, étranger , et ayant une connotation d'installation plus passagère. Pourquoi l'installation de Ya'akov a-t-elle été accentuée? Et le midrach répond que la Torah nous apprend que Ya'akov, arrivé à Hévron, a demandé à D. de pouvoir terminer sa vie dans plus de tranquillité, sans nouveaux soucis, dans ce qu'on appelle en Hébreu, un certain yichouv hada'at. Cependant, voilà que le midrach continue et nous dit que D., voyant cela, a déclaré : "Ne suffit-il pas aux justes ce qu'il les attend dans le monde futur, voici qu'ils demandent aussi quiétude et paix, en ce monde!" Et de suite D. envoie à Ya'akov l'épreuve de la vente de Joseph par ses frères, cause de 22 années d'inquiétude et de remise en question permanente.
La question est de comprendre quelle était là, la faute de Ya'akov dans sa requête ou, quête de quiétude ? N'est-il pas possible d'envisager une tranquillité et dans ce monde et dans le monde futur ? Rav Yerou'ham de Mir dans son oeuvre Da'at Torah accentue même l'étonnement : viendrait-il à l'esprit d'un d'entre nous de penser que Ya'akov désirait la tranquillité pour profiter de ce monde ; il est clair que celle-ci aurait été du domaine des 14 années passées chez Chem et 'Ever, afin de consacrer chaque jour et chaque nuit à l'étude et au rapprochement de D. Aussi comment comprenons-nous cette rigueur de D. face à une telle demande ?
La clef du problème réside, en fait, dans un adage de 'hazal, de nos maîtres, qui nous enseignent qu'il faut mieux acquérir une chose dans la douleur, qu'en acquérir cent mais sans douleur, tov a'hat betsa'ar miméah chélo betsa'ar.
C'est à dire que 'hazal, nous disent que, dans les deux domaines centraux de la vie d'un Juif, à savoir son étude et sa progression personnelle, on ne peut parler de totale acquisition qu'à condition que ces dernières soient associées à un état de manque ou de difficulté : la Torah n'est acquise et les bonnes midoth (qualités humaines) ne sont miennes, totalement, que lorsque j'ai étudié et je me suis travaillé dans un cadre où les circonstances m'étaient pénibles.
Si un homme croit avoir acquis la Torah lorsque le vent lui était favorable et que tout lui réussissait jusque son étude, qu'il sache que son acquisition est, en fait, sujette à succomber même devant la plus petite des embûches : qu'il soit un peu malade ou fatigué et, très vite, ce seront-là les meilleurs raisons pour marquer un temps 'mort' dans son étude.
Et voilà que D. reproche à Ya'akov : il est vrai que jusqu'à ton arrivée à Hévron tu as vécu de nombreuses péripéties ; d'abord les 20 ans auprès de Laban, puis Esav, Dina, la mort de Rachel, puis l'épisode de Chim'on et Bilha ; et que tu n'as pas eu un moment de tranquillité, mais voilà que tu sais très bien que c'est là le but extrême du monde : adam lé'amal youlad, l'homme est né pour souffrir (c'est à dire pour faire des efforts) ; autant que cela soit utilisé pour sa propre élévation spirituelle.
Un avreh (membre du collel ) m'a fait remarquer quelque chose de très fort : quel enseignement doit-on tirer de la mitsvah de la circoncision, voici que celle-ci est faite quand l'enfant a tout juste huit jours, et que peut-il bien ressortir de cette alliance alors que le seul lien avec elle et le seul vécu est la douleur qu'il éprouve à l'instant même. Et la réponse est que réellement il n'y a rien d'autre que la douleur, et qu'à sa rentrée dans le peuple juif, il faut donner à l'enfant un message qui puisse lui servir tout au long de sa vie : un juif doit savoir que toute sa vie, pour pouvoir mériter d'acquérir complètement toutes les valeurs de notre Torah, doit être parsemée de difficultés et de douleur, de tsa'ar.
Ce monde est plein d'embûches mais c'est en soi le meilleur moyen pour permettre à l'homme de s'élever complètement, de mettre en branle toutes ses capacités et pouvoir acquérir vraiment la Torah et les mitsvoth. C'est ainsi qu'elles feront partie de son être et alors il sera assuré de les retrouver dans le monde futur.
Ce message est aussi adressé à chacun d'entre nous, pourquoi demander dès maintenant la paix du monde futur! Que l'homme profite de cette douleur intrinsèque à ce monde pour toujours et encore s'améliorer et se détacher de ses mauvais penchants en montrant que même dans les situations des plus pénibles, ses acquis sont vraiment partie intégrante de sa personne et qu'il ne se dément pas.
Le Zohar, à l'origine d'une chanson connue, nous dit que lorsque les enfants d'Israël sont assis à se réjouir de la Torah, D. dit alors à sa cour :"Voyez, voyez, mes enfants chéris qui oublient les malheurs et s'occupent de ma Torah!" Après notre approche, il est intéressant de relever que D. ne se suffit pas de l'étude même des enfants d'Israël, mais qu'il "vante" que même dans le malheur, la Torah reste et demeure la plus grande des valeurs. Et cela, parce que, comme nous l'avons expliqué, c'est seulement comme cela que l'homme fait une réelle acquisition de la Torah qui devient sa Torah.
C'est là, que résidait toute la grandeur du roi David, surnommé : na'im zemiroth, (le chantre agréable). Et le rabbi de Kotsk d'expliquer quelle était la grandeur et la signification d'une telle appellation : le mot zemiroth, chant louange, vient de la racine zamar, qui signifie tailler, dans le sens de tailler un arbre.
De même le Roi David a été, dans toute sa splendeur celui qui, malgré toutes les entailles de sa chair dues au nombre illimité d'épreuves que D. lui envoya, continuait au jour le jour à louer la providence divine et qui voyait, au contraire, dans chacune d'elles la source d'une louange encore plus profonde, encore plus intense.
David était comme sa harpe : plus on tend ses cordes plus elle sort un son pur, ainsi pour David : plus D. l'éprouvait, plus son élévation était grande et vraie.
Que nous puissions, nous aussi, à chacune des épreuves
que la vie nous réserve, nous rappeler de cet enseignement de Hazal
afin d'en tirer les plus grands profits, et acquérir les valeurs
et préceptes de notre Torah, avec la conviction que s'accomplira
pour chacun d'entre nous la promesse : hazor'im bedim'a berina yiktsorou,
Ceux qui sèment dans les larmes, récolteront dans l'allégresse.