LE SIDA : réflexions juives sur une calamité universelle.

Par Rav Yitshak Jessurun


Conférence tenue le 9 janvier 1995 à Marseille. Retranscrite par le Dr Jean Paul Courchia.


 

Sommaire

Les questions posées à la conférence

Que devons-nous penser, dire et comment pouvons-nous peut-être agir, nous, les Juifs, face à ce fléau ? Tel est le thème d'une conférence donnée par le rav Jessurun devant un important public, puisque près de 1000 Marseillais se sont déplacés pour cette occasion. La partie scientifique était introduite par Jean-Paul Moatti directeur de l'unité Inserm 379, responsable scientifique des enquêtes sur les perceptions sociales du SIDA auprès de l'ANRS. Cet essai nous a semblé mériter d'être connu d'un public plus étendu.

Il existe non pas un seul, mais plusieurs thèmes du SIDA (syndrome d'immunodéficience acquise). Nous laisserons volontiers de côté les notions techniques et fondamentales de la science, pour n'aborder que les aspects juifs et éthiques.

1/ Le thème éthico-scientifique : Il y a quelque chose de différent qui se passe dans la science avec le SIDA. Manifestement, il s'agit d'un défi d'une autre dimension, d'une dimension que jusqu'à là nous n'avons pas encore connue, même pas avec une maladie aussi grave que le cancer. Le cancer n'est pas transmissible; ici on touche à une plaie qui a une autre ampleur. C'est la première fois qu'une maladie sévit sur toute la planète en même temps et touchant sans aucune distinction toutes les couches de la société. Le XXème siècle sera sans doute appelé plus tard dans l'histoire: "le Siècle de la Science"; mais paradoxalement en même temps, on subit un choc d'autant plus frustrant et humiliant : médecins et scientifiques, justement à la clôture de ce siècle, se trouvent confrontés à une tâche qui parait pour l'instant complètement insoluble et hermétique. Ce défi est tellement gigantesque qu'on ne sait même pas dans quelle direction l'affronter.

2/ Le thème du médecin : des progrès certains ont été réalisés depuis l'apparition de cette maladie. Cela est vrai en ce qui concerne l'espérance de la durée de la vie, mais malheureusement le médecin reste frustré car il ne peut proposer à son patient, que de traiter des affections secondaires à l'immunodéficience. Il ne peut, aujourd'hui, combattre le vrai problème. Que doit-il dire d'une maladie dont il ne sait pas plus que ses malades.

3/ Le troisième thème est peut-être le plus important et le plus délicat : celui des jeunes.
Le XX ème siècle a engendré une société permissive : un coup d'oeil sur une affiche dans la rue ou cinq minutes devant la télévision suffisent pour dicter aux jeunes la manière impérative dont il faut vivre aujourd'hui. Mais par ailleurs on lance aux jeunes : attention il faut être conscient, il faut se protéger ! Mais, ce petit message fait-il le poids ? La timide campagne .d'information. peut-elle rivaliser avec l'immense machinerie de la commercialisation du plaisir? Avec les spots qui déclarent le .droit inconditionnel. aux jouissances instantanées? Nous connaissons les difficultés morales, techniques, éthiques de la protection, et malgré tous les efforts effectués, les campagnes gouvernementales restent sans effets réelles par rapports aux immenses propositions que les médias offrent !

4/ Le quatrième thème est celui des parents : celui-ci est le thème de l'inquiétude. Les parents se demandent ce que font les jeunes. Le moindre souci des parents est de toutes les façons, mal ressenti. Peuvent-ils intervenir...? Combien? Quand?

5/ Dans cette énumération non exhaustive reste le problème fondamental, celui du contact avec le malade : solitude, exclusion, souffrance, trouble de l'identité, désespoir, telles sont les difficultés posées par le sujet atteint. La difficulté ultime provient du fait que la personne touchée par la maladie veut encore se donner une place dans le monde, pour les quelques années qui lui restent à vivre.

Le présent exposé veut apporter un certain nombre de réflexions sur les divers aspects que nous venons de décrire.

Le remède est-il existant ?

L'ampleur du fléau, sa rapidité et son développement, l'angoisse qu'il provoque - tout cela mérite réflexion.

La Guemara dans Mégila 13 dit la chose suivante : .le Saint béni soit-Il n'envoie de plaie contre le peuple juif que lorsqu'un remède à déjà été créé; par contre, lorsqu'il frappe le monde de l'idolâtrie, le remède n'est créé que plus tard..

Ce texte, très important pour nous, contient un élément rassurant : selon la tradition juive donc, chaque plaie possède son remède ! Cependant, il existe deux concepts: le remède vient avant, ou après la plaie, mais quoi qu'il en soit le remède existe. Ce texte est important car nous avons tous entendu de la bouche des chercheurs ou par articles interposés qu'un vaccin ou qu'une thérapeutique ne sera au point que dans quelques décennies. Il existe donc quelque chose de rassurant, à savoir que dans l'optique juive le remède est promis. Il nous faut toutefois réfléchir à ces deux concepts : maladie avant le remède ou l'inverse. Ce passage a toujours été pour moi obscur, et la manière dont les choses se passent avec le SIDA nous permet peut-être de mieux comprendre : il apparaît à l'expérience que la pire des situations est celle de l'incertitude. Une personne atteinte par exemple, D. nous en préserve, d'un cancer, sait que des recherches sont en cours et que tous les jours de nouvelles découvertes sont réalisées; cette personne sait que peut-être elle ne guérira pas, mais il y a au moins espoir de guérison. Par contre avec le SIDA - du moins pour l'instant - il n'y a point d'espoir. La personne se sait tout simplement condamnée. Certes, on parvient à augmenter l`espérance de la durée de vie, mais la personne sait que, du moment qu'elle est infectée, ce n'est qu'une question de temps. C'est peut-être ce que veut exprimer la Guemara : nous vivons actuellement sans espoir, sans aucune fenêtre qui ouvre des perspectives d'une solution. Néanmoins, virtuellement le remède existe et cela nécessite deux choses: d'une part le chercheur, et, d'autre part, la prière pour que D. fasse générer ce remède.

Sommes-nous concernés ?

En réalité, la chose nous paraît claire : rappelons-nous le scandale du sang contaminé. Il existe, nous le savons, ce qu'on appelle des groupes à risque : toxicomanes, des personnes qui dévient du comportement normal, promiscuité des relations intimes. Ces groupes sont plus exposés que le reste de la population à la contamination par le virus HIV. Mais, dans le problème du sang contaminé, une grande partie de notre société se trouve tout à coup impliquée, alors que, jusqu'à ce jour, elle n'était nullement concernée. Nous pensons aujourd'hui que le problème précis des hémophiles est peut-être réglé, mais il existe d'autres situations qui peuvent devenir à risque : les chirurgiens, par exemple, peuvent-ils affirmer qu'ils ne prennent pas de risque ? J'ai entendu un professeur affirmer que, dans une certaine mesure, le risque dans ce métier est tout simplement inévitable. D'autres questions planent dans l'air : ne parle-t-on actuellement pas de risque de mutation virale ? Constatons en tout cas, que des personnes qui ne devaient pas être concernées d'une manière naturelle, l'ont été.

Or, il est clair que D. a un programme, et qu'il n'existe pas de hasard. Il fait partie du programme divin d'impliquer tout le monde dans ce fléau. La division économique du globe s'efface devant un tel drame, il n'existe plus de tiers monde et la planète devient toute petite; D. a fait que nous sommes tous concernés, Il nous implique peut-être contre notre gré et il se peut qu'au regard de cette considération, nous ayons une attitude plus juive à proposer, qui pourrait contribuer de façon importante à contrer ce fléau!

Punition divine ?

Lorsqu'on parle du SIDA, la première question qu'on pose à un rabbin est : monsieur le rabbin, est-ce un châtiment ? Est ce la punition de D. d'un comportement de vie qui n'était pas correct ? Inutile de dire qu'il n'existe plus de prophète, en notre XXème siècle. Nous ne sommes pas capables de dire que tel fléau représente un châtiment. S'il s'agissait vraiment d'un châtiment, conséquence de l'infidélité, de la promiscuité des relations intimes ou des relations avant le mariage, qui sont formellement interdites par la Tora, on serait alors en droit de se demander pourquoi relativement si peu de gens sont sanctionnés ? On se serait attendu à ce que ce fléau, que D. nous en préserve, touche encore beaucoup plus de gens, vue leur conduite... On ne peut donc pas parler de sanction. Néanmoins, le fait qu'on ne parle pas de sanction, et qu'on ne puisse pas en parler, ne signifie pas qu'il n'y a pas de relation entre le comportement et les choses qui se produisent.

L'epée à double tranchant.

Lorsque D. a créé le monde, il y a introduit un certain nombre d'ingrédients. Le monde a également un patrimoine génétique. Ce monde a été fait pour vivre à une certaine vitesse et d'une certaine façon, et lorsque l'on abuse de ce mode de vie le monde se défend. Nous connaissons tous l'histoire d'Adam et Eve qui furent chassés du Gan Eden, après leur faute. Désormais, nous raconte la Tora, le Gan Eden est gardé par .la lame de l'épée flamboyante.- selon la traduction du rabbinat. La traduction littérale du terme .flamboyante. est en fait .pouvant s'inverser., ou .pouvant se retourner.(mithapa'het). Le Gan Eden est désormais donc gardé par cette épée à double tranchant qui sait se retourner. Ce passage est très énigmatique. A priori, l'explication est la suivante : lorsqu'on utilise une épée à double tranchant, et que l'on frappe très fort, trop fort, on risque de subir l'effet du contrecoup ! D. a créé le monde en lui insufflant une notion de pureté : on est plus ou moins pur. Le Gan Eden qui existe encore a gardé son statut de pureté, bien que l'Homme ait fauté. L'idée de pureté elle même existe encore malgré le faux pas commis par Adam et Eve et c'est cette notion de pureté, qui est protégée par cette arme blanche à double tranchant qui se dresse contre la personne qui s'en sert pour .agresser..

C'est d'une certaine manière ce qui se passe aujourd'hui. Le SIDA frappe là où il y a de l'abus. A analyser les chiffres, on s'aperçoit de cet abus. Il existe une sorte .d'abus de la société.. Les sociétés nous ont amenés à un certain mode de vie dans lequel à un moment donné, ce n'est pas qu'il n'y ait plus de pureté, mais la notion de pureté elle même parait puérile et vieux jeu; l'idée de rester pur jusqu'au mariage fait sourire, il en est de même de la notion de fidélité. On peut affirmer qu'à ce niveau il y a un risque, l'abus est trop fort, et alors un élément précis, inscrit dans le patrimoine génétique du monde, l'amène à se défendre.

L'ancien Grand Rabbin d'Angleterre, Lord Yakobovitch, avait donné de cela une simple image: lorsqu'on dit à un enfant de ne pas jouer avec le feu, qu'il transgresse cet interdit et qu'il s'en tire avec une brûlure importante, inutile de lui dire qu'il a été puni : il comprendra à l'avenir tout seul. .Pourquoi s'est il brûlé. est une question philosophique, ou religieuse, que nous ne sommes pas forcément à même de résoudre, mais on ne peut certainement pas nier le rapport intrinsèque et direct entre le jeu auquel s'adonnait l'enfant et la brûlure... Quand on joue avec le feu, on prend le risque de se brûler ! Lorsqu'on joue au niveau du comportement humain à un plan de haut risque, il faut aussi s'attendre à ce qu'on finisse par se brûler. C'est ce dont nous sommes les témoins aujourd'hui.

Une déficience immulologique.

Le plus surprenant pour l'esprit, est qu'en fait le SIDA n'est pas une maladie proprement dite : il s'agit d'une déficience du système immunologique. La personne atteinte n'est pas malade, elle n'a simplement plus de défense. Un monde sans défense s'écroule ! Lorsque dans le comportement humain, sur le plan moral collectif, on touche aux défenses immunologiques du monde, alors à ce moment là il y a des conséquences qui sont inhérentes à la structure de la Création.

Voici peu, une journée mondiale du SIDA a été organisée ( le 1er décembre 1994). Le grand résultat de cette journée est qu'on a enfin parlé du SIDA ! Jusqu'à lors, un certain tabou régnait autour de ce sujet, ce qui faisait que la recherche ne se développait pas, les fonds nécessaires à la Science étaient naturellement limités, le problème restant occulté. Mais j'ai constaté, à ma grande déception, que le tabou véritable n'a pas été brisé et il s'avère tellement fort, tellement puissant, que jusqu'à ce jour le silence reste de règle. J'ai la conviction que tant que l'on ne parle pas de ce thème, on ne peut avancer; Et le problème est infiniment plus grave ainsi : même d'y penser est évité.

Les causes antérieures

Ce tabou véritable est le rôle de la famille. La structure et la vie de famille sont les causes sociales et initiales de cette épidémie. Le SIDA n'étant pas une maladie elle est la conséquence d'un autre phénomène qui se produit. On doit être conscient que lorsqu'au XX ème siècle on se retrouve face à un tel fléau c'est qu'il doit y avoir quelque chose qui ne .tourne pas rond. avec la société.

La toxicomanie, avec les déviances comportementales des relations, qui ne sont pas admises dans la Tora, sont les grandes causes du SIDA.

C'est qu'on ne meurt pas du SIDA..., ce n'est pas lui qui tue! C'est pratiquement toujours le manque d'affection qui est à l'origine de cette mort douloureuse et cruelle! Expliquons-nous: pourquoi tant de jeunes se droguent-ils ? C'est la question ultime que l'on doit se poser. Si réellement on veut améliorer quelque chose, il faut prendre le problème à la source. Et malheureusement la réponse est relativement simple : la drogue est un substitut, une fuite, une fuite devant la cruauté qui existe dans ce monde. Trop souvent, ce sont des enfants qui souffrent d'un manque d'affection dans leur foyer, qui tombent sur la drogue. Il faut reconnaître qu'à un certain niveau, le monde fait peur aux jeunes et ceci à juste titre : qu'est ce que le monde a à leur proposer ? Souvent, ces jeunes naissent dans un foyer brisé, parfois dans un foyer monoparental, qu'un divorce ou une autre difficulté de la vie a réduit à néant. D'autres fois ce sont des enfants qui ont grandis dans tout le confort matériel possible mais avec des parents absents; physiquement ou moralement. Ces enfants sont seuls et dans ces cas là, la drogue s'invite toute seule...

Traduction concrète : Quand nous parlons de manque d'affection, comme source de cette dégradation, il s'agit en fait d'un manque de disponibilité des parents.

Disponibilité

Donnons un exemple : j'enseigne une heure par jour dans une école juive, dans une classe de terminale. Il m'arrive de demander aux élèves : parlez-vous de ce que vous étudiez à l'école chez vous ? Une réponse fréquente : "pensez-vous ! Déjà que mes parents m'envoient à l'école juive...!" Ou alors un vendredi soir: "Déjà que je ne peux voir le match à la télé !" Il faut savoir que l'un des problèmes majeurs de la famille aujourd'hui c'est la disponibilité ! Combien de jeunes ont l'écoute de leurs parents ? La question n'est pas en quantité d'heures, les parents peuvent avoir des occupations qui les prennent en effet beaucoup, mais dans le peu de temps qui reste, quelle est à ce moment la relation qu'ils ont avec leurs enfants ?

Un enfant qui sent qu'il a l'écoute, la confiance, de ses parents et qui, au contraire à une relation intime avec ses parents, parce qu'ils sont disponibles, ce jeune là est protégé à 80 %. Au contraire, l'autre, si on lui propose de la drogue à l'intérieur ou à la sortie du lycée, il ne viendra pas le raconter à la maison. Il ne sait même pas s'il peut en parler avec ses parents tant le sujet est tabou. Il n'y a pas de confiance dans cette relation. On est en droit de croire que si un jeune peut s'exprimer, s'il peut dire à ses parents ce qui lui arrive dès le premier jour, il est déjà sauvé. Cet enfant aura déjà trouvé une voie, une issue, une écoute; il aura ainsi déjà sollicité ces parents pour leur dire "Aide moi, avant que ce ne soit trop tard!"

Tout le monde est bien d'accord que les enfants sont la priorité, du moins au niveau d la théorie. En pratique.

Lorsque je parle de disponibilité, je ne veux pas dire par cela qu'une mère ne doit pas aller travailler afin d'être disponible pour ses enfants ! Mais en toute honnêteté lorsque nous rentrons le soir, après le travail, s'intéresse-t-on à nos enfants ? Ou bien : "les enfants, maintenant j'ai le droit à un peu de repos, laisse-moi avec tes histoires..."

Cette notion de disponibilité est pour moi un des thèmes le plus important. Je sais que les causes initiales de la déviation dans les rapports intimes, est un thème très conversé, mais laissez-moi vous dire comment la Tora défini les choses : un homme qui n'arrive pas à être heureux avec une femme va chercher son bonheur ailleurs. L'étude de ses communautés, que l'on retrouve de part le monde, comme à San Francisco par exemple, montre que l'étiologie de cette déviance est pour certains génétique, pour d'autres elle est sociale. La Tora est claire "Ne vous conduisez pas comme le font les gens de Kena'an."

Nous avons des contacts avec ces personnes, ces dernières viennent nous trouver et nous pouvons aider ces individus. Nous pouvons affirmer que l'essence de ce problème est certainement social. L'image représentative du couple leur fait peur, un homme se sentira plus à l'aise avec un autre homme car il se situera dans un monde qui lui est connu, plutôt que se trouver face une partenaire qui est différente, dont on ne comprend pas la psychologie ou certaines réactions. Des parents heureux, des parents qui partagent une vie riche avec leurs enfants, sont des parents qui auront certainement beaucoup donné à leurs enfants, pour les protéger. Il ne faut pas croire que l'on se protège avec des aiguilles propres, il ne s'agit que d'un palliatif, de la dernière chose à faire lorsque l'on est dans cette situation. Mais il existe de nombreuses actions à réaliser pour ne pas atteindre cette situation.

Le dialogue de Pessah.

Rappelons-nous : Le soir du Séder. Le soir de Pessah nous lisons la Haggadah. Celle-ci est entièrement consacrée à l'enfant : les quatre types d'enfants, leurs quatre questions. Le juste, le malfaiteur, celui qui est encore trop jeune pour poser des questions, et le simple : Les questions et les réponses sont des textes tirés de la Tora. Mais si l'on étudie ce que la Tora dit de l'éducation, on constatera qu'elle n'en dit pas grande chose. Etonnement peu! Quelques phrases sont là pour nous dire: si ton fils te pose telle ou telle question alors voilà, selon sa formulation, ce qu'il faut lui dire. Mais le fond, ce que la Tora veut exprimer, est qu'il faut établir un dialogue permanent avec chacun de ses enfants. S'il y a un fils qui pose une question, c'est qu'il y a un père ou une mère qui est disponible pour y répondre ! Même le fils mécréant parle avec son père, la seule manière d'avancer c'est d'être disponible. Que veut dire éduquer pour la Tora ? C'est être à l'écoute. Vous savez nous ne sommes pas des magiciens, nous n'avons pas de réponses à toutes les questions, nous n'avons pas lu tous les livres de psychologie ou de pédagogie, tout cela n'est pas nécessaire mais la principale des choses est d'être là, non pas quand notre enfant est malade, mais il s'agit d'une disponibilité de tous les instants.

Rappelons encore une fois qu'il s'agit autant et surtout de la qualité des paroles. Un foyer dans lequel le sujet numéro un de la conversation est l'argent en tant que valeur, est un foyer à très haut risque pour les enfants.

La lepre.

Dans les temps bibliques la terreur, la maladie se trouvait représentée par la lèpre, la tsara'ath. Pour tenter de trouver une situation parallèle à celle du fléau qui nous concerne (violence du phénomène, angoisse engendrée), c'est dans les textes concernant la lèpre qu'il faut chercher. Il y a là quelque chose d'intéressant : Que faut-il faire avec un lépreux selon la Tora ? .Vehouva el hakohen, - Et il sera amené au Kohen.. Le prêtre va observer la plaie : est-elle blanche, Ì, y a-t-il un poil qui y pousse, la couleur du poil, est-il enfoncé, etc. toute la science du Kohen est nécessaire pour déterminer la nature de cette plaie. En fonction de son "diagnostic" le Kohen tranchera : Tamé ou tahor, impure (sur le plan cultuel) ou pur. Si cette personne est impure, elle doit sortir à l'extérieur de l'habitation, du campement, pour des raisons religieuses et ceci jusqu'à ce qu'elle redevienne pure.

Les commentateurs s'étonnent: Mais pourquoi amène-t-on le lépreux chez le Kohen ? On aurait mieux agit en l'amenant chez le médecin. La Tora ne reconnaîtra-t-elle pas les compétences du médecin ? Pourtant nous voyons bien dans la Paracha Bechala'h que la Tora donne au médecin le pouvoir de guérir. La réponse est qu'il ira certainement voir son médecin, soit, mais en parallèle, on lui dira : le médecin c'est une chose, le rôle du Kohen, en est un autre. Ceci est vrai également de nos jours : le rôle du rabbin n'est pas celui du médecin, il ne va pas guérir. Le médecin dira au patient : on va trouver un remède, un traitement, il ne lui dira pas : vous êtes gravement malade. Il a pour tâche d'être rassurant, de garantir une solution. Le Kohen doit dire quelque chose de douloureuse : impur ! Quelque chose ne va pas. On attend du Kohen, du rabbin, un langage clair en terme de valeurs morales, il doit dire : mon cher ami je ne sais pas ce qu'il se passe, mais tout ce que je peux te dire c'est qu'il y a quelque chose qui .ne tourne pas rond.. Il ne peut pas être rassurant : impur ! Il doit rendre un verdict impitoyable: en attendant tu dois te mettre en dehors du camp.

Lorsqu'un rabbin cherche à être populaire, à rassurer la personne et à lui faire sentir que tout va bien, il prend un mauvais chemin. Il existe toute une catégorie de personnes qui est qualifiée pour être rassurant. Le rôle du rabbin se résume en deux points :

- Il doit donner un enseignement clair, il n'est pas là pour plaire au public, il doit savoir déclarer que la chose est pure ou impure, permise ou interdite. La Guemara précise que la lèpre a au moins sept causes différentes : la médisance, l'avarice, l'orgueil, etc. Le Kohen ne va pas dire quelle est la cause de la maladie qui frappe la personne, mais il va suggérer à l'individu de réfléchir.

- D'autre part, le rôle du rabbin est de partager l'affliction et les épreuves, de souffrir avec la personne. Le médecin, par ses fonctions, doit prendre une certaine distance par rapport au malade. Il n'a pas le droit de s'identifier jusqu'au bout avec le malade. Il lui serait impossible d'avoir tout le stress de cette souffrance. Bien sûr tant qu'il est devant le malade, il doit tout tenter, sans se restreindre, sans limites, mais dès qu'il sort, il doit penser à sa vie propre. Dans la Tora, le rabbin - ou le Kohen - est nossé bé'ol im `havéro, il doit justement s'identifier avec le malade, il doit faire que la souffrance du malade devienne la sienne. Lorsque certains de nos Maîtres réussissent à faire des miracles avec des malades, il faut comprendre que ce n'est pas une sorte de privilège avec le Ciel, ils n'ont pas de clé pour ouvrir la porte... C'est que, lorsqu'ils prient, ils sentent la souffrance du malade. Ils se sentent associés au malade. Et à ce moment-là ils vivent dans un paradoxe difficile : d'une part ils doivent lui dire clairement qu'il est .impur., qu'une chose ne fonctionne pas, et en même temps on lui demande d'être impliqué, de tout leur être, dans chacune de ses prières journalières. Ils doivent sentir la souffrance du malade comme si elle était la leur.

Le marriage dans la Tora.

La Tora n'autorise pas les rapports avant le mariage. Lorsqu'on est rabbin on se doit d'être clair. La Tora est-elle en retard par rapport au mode de vie du XXème siècle ? Je me permets de vous rappeler qu'elle n'est, par définition, jamais en retard, mais peut-être et par contre qu'elle est justement amplement en avance!

Le rôle du mariage peut être vu sous trois angles différents, il y a trois fonctions dans l'institution du mariage :

- la procréation : La plénitude de l'homme réalisé par l'enfantement nécessite la procréation.

- la jouissance : D. a donné à l'homme un monde qui avance, mais il nous a doté d'un plaisir de vivre, il a donné à l'homme une jouissance et dans la tradition juive, ce qui nous diffère peut-être des autres religions, la jouissance est conçue comme une valeur positive, constructive, qui est indispensable dans le monde.

- l'équilibre psychique: On dit qu'un homme s'appelle Adam, un homme, quand il est marié. Tant qu'un homme ne partage pas sa vie avec un autre être, auquel il confrontera ses valeurs psychiques, émotionnelles, avec un être qui est différent de lui, il ne s'appelle pas Adam. Un homme se construit, et une des fonctions du mariage est de faire en sorte que l'homme se construit. .Un homme seul n'est pas bon. nous dit la Tora. On ne peut se construire seul.

Les rapports intimes contiennent à tous instants cette triple fonction. On peut en être : on peut avoir des rapports uniquement pour la jouissance, ou pour la procréation cela ne serait pas une optique juive. Car ces trois aspects doivent être présents durant toute la vie, un homme doit se construire. Les rapports en dehors du mariage, aident-ils à la construction de l'individu ? Une étude récente américaine a mis en évidence que les rapports les plus riches sont ceux où il a existé une attente et où les rapports ne sont pas .gratuits.. Cette étude montre que les hommes et les femmes qui sont les plus heureux et qui ont le plus de jouissance sont justement ceux chez qui les rapports ont eu lieu après une attente. Tous les couples qui n'ont pas eu de rapports jusqu'au jour du mariage, lorsqu'il y a eu attente, alors ce rapport construit, il fait émerger un homme psychiquement équilibré. Ces mariages sont ceux qui sont les plus solides et même dans un monde non religieux. Si la Tora n'autorise pas les rapports avant le mariage, il ne s'agit pas d'interdit, ce terme n'a pas de grande signification, c'est que la Tora conçoit de construire un homme plus grand. La Tora envisage de façonner des hommes plus équilibres, et lorsque dans un foyer ou il y a eu cette attente, et celle-ci est peut-être mensuelle, à travers les lois de Nidda, les problèmes de couple sont moindres et on aura des parents heureux, et si les parents sont heureux... les enfants sont heureux. Nous avons la mitsva, l'obligation, d'être heureux. La construction du bonheur ne connaît pas de raccourci.

Il faut toutefois relever un de ces paradoxes de la modernité : c'est seulement dans les années 50 que la psychologie actuelle s'est intéressée à ce troisième volet du mariage; l'équilibre de l'être. En même temps de ces importantes découvertes le monde s'est laissé emporté par le déferlement de la vague de libéralisation des m.urs, anéantissant ce qu'il avait trouvé sur le plan scientifique.

Quand on nous dit qu'il faut se protéger lors des rapports intimes, il faut savoir que cela est très ambigu; quelque part un homme qui vit avec une femme, cela devrait être une expérience extrêmement riche, et l'amour se doit d'être généreux. Quand on parle de se protéger, il y a tout un monde psychique qui est occulté dans lequel on dit :.Je ne sais pas, au fond, si tu es mon meilleur ami, ou si tu serais toutefois le pire de mes ennemis. Tu peux me rendre heureux, ou inconsciemment tu es peut-être pour moi un danger de mort. Ce type de rapport peut satisfaire la jouissance immédiate, mais il ne peut en aucun cas construire un individu.

Nous pouvons viser plus haut.

La grandeur de l'Homme est-ce une vue utopique ? Mais résoudre les problèmes en utilisant des aiguilles propres ou d'autres moyens de protections, n'est ce pas plus utopique ? Nous savons qu'une fois sur deux un jeune qui vit une passion intense, ne se protégera pas. Le peuple juif est par nature utopique. nous n'avons jamais vécu dans des conditions d'existence normale. L'exil que nous vivons aurait du mettre terme au peuple juif depuis longtemps, par l'assimilation, les pogromes, l'inquisition, ou l'holocauste.

L'essence du peuple juif c'est l'histoire d'Abraham. Un homme, un seul homme qui devient un jour monothéiste, un marginal qui est considéré comme un fou ! Cette marginalité est reprise par sa descendance, et chose étonnante, la conviction que les choses peuvent être ainsi, motive tout un peuple et toute la terre. C'est cela qui est extraordinaire et c'est cela qui est la véritable dimension du peuple juif. Pourquoi sommes-nous concernés? Nous sommes concernés rien que par l'exemple que nous pourrions être. La communauté juive est porteuse d'un message extrêmement important : nous pouvons viser plus haut ! Si un regret peut être formulé c'est le suivant : dans toutes les campagnes de protection nous sous estimons la grandeur de l'Homme. Les tabous évoqués précédemment sont refoulés : la liberté du comportement ne doit elle pas être remise en question ? On n'envisage même pas d'en parler!

Il y a quelques années quand tout le monde fumait, il était impensable d'envisager qu'on interdise de fumer dans les lieux publics, en fin de compte les choses font leur chemin et si frein il y a, celui-ci est d'ordre économique. Mais de dire que l'idée ne peut faire son chemin, cela n'est pas une idée juive. Le peuple juif a une idée à promouvoir, cette idée peut émaner d'un petit groupe déterminé, qui fera émerger une alternative au comportement actuel.

Conclusion

En conclusion je voudrai vous rapporter le texte d'une haftara que nous avons lue il y a quelques semaines. Le prophète Obadia annonce que lorsque le peuple juif retournera de son exile ses terres ils viendront de Tsarfat (la France) et de Sefarad, (l'Espagne) pour reprendre possession d'Israël. D'abord donc la France et après l'Espagne!

Pourquoi ce privilège réservé aux juifs Français, alors que ceux d'Espagne ont eu une histoire non moins glorieuse ? Il y a une réponse très intéressante à cette question. Chaque pays a son génie propre, sa mentalité, ses épreuves et ses sollicitations. L'Amérique, l'épreuve c'est l'argent, valeur incontournable. Pour la France l'épreuve c'est la débauche, la liberté des moeurs. Et cette épreuve est incontestablement la plus difficile. On m'a fait remarquer que les mêmes lettres composent le mot parats, débauche, et le mot tsarfat, la France. Il n'existe pas d'autres pays européens ou nous voyons fleurir les panneaux publicitaires incitant à la débauche comme en France. La communauté juive en galout, en exile, qui reste fidèle à ses propres valeurs, dans un monde qui accepte comme normales des valeurs opposées, donne à la communauté française le mérite d'être la première à retourner en Israël. Ce texte nous conforte dans l'idée que notre comportement n'est pas utopique.


© Centre d'Etudes Juives Ohel Torah

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